mon meilleur ami s'appelle ewing, je l'ai rencontré pour la première fois il y a quatre ans.
billy avait chipé des biscuits à l'épicerie du coin, il en avait encore plein la bouche et les poches, et s'apprêtait à en avaler deux autres quand le vigile nous as vu et a commencé à nous hurler dessus, son talkie-walkie dans la main. on s'est mis à courir comme des petits fous en riant comme pas possible. billy faisait bien vingt kilos de plus que moi mais putain qu'il courrait vite ! alors j'ai essayé de le suivre avec mes gambettes maigres et mes baskets troués, on a couru plus vite que les voitures, plus vite que la lumière, plus vite que le temps qui passe, et puis soudain, y a eu un grand "crac" et je me suis retrouvé face contre terre, une douleur de l'enfer dans la jambe.
enfoiré de billy, tout ça c'était sa faute. mais entre deux larmes j'ai ri quand j'ai vu la tête toute inquiète de ce gros tas avec ses dents trouées sucre-arc-en-ciel.
s'en suivirent les longues heures à l’hôpital, les irm, les radios, les tests pour savoir si j'étais pas cassé du cerveau. au cas où. j'me rappelle que je me sentais comme un robot dans ces énormes machines aux "bip bip" qui vous strient les tympans. je m'inquiétais pas. c'est pas grave, à cet âge, tous les garçons se cassent au moins un os, c'est comme un rite de passage.
mais le diagnostic est tombé, maman a pleuré, papa a demandé de répéter, et moi je me disais sur mon lit d'hôpital "c'est plutôt cool d'avoir un plâtre, ça fait gros dur."

c'est la dernière fois que j'ai tenu droit sur mes deux pieds.

depuis, ewing me colle aux os,
à la peau,
il y a des moments où il s'en va, et on croit
l'espace d'un instant,
qu'on peut être une famille normale à nouveau.
sauf qu'ewing m'a bouffé le muscle et m'a laissé avec une jambe plus faible que l'autre,
sauf que j'ai la hanche mi-plastoc mi-ferraille et que des fois, bah ça grince
sauf que je mets deux fois plus de temps à marcher et tout dure une éternité pour moi
sauf que la peur d'une rechute et pire (mieux ?) encore, empêche tous ces gens autour de moi de vivre, tout ça parce que deux parts de moi se sont mis en tête de se détruire l'une et l'autre.

mon meilleur ami s'appelle ewing, sarcome d'ewing.
je n'ai jamais autant détesté quelqu'un de toute ma vie.

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