La route. il y a quelque chose de bizarre avec la route. trop fine, trop sombre trop grande et pas assez proche du point qu'on veut atteindre. les lumières des voitures et des camions qui ondulent et qui défilent au grès de nos pas. il y a quelque chose de bizarre avec la route. quelque chose d'impossible à lire, comme les petits caractères en bas d'une page. il y a quelque chose de bizarre avec cette route. peut-être le fait qu'on ne la suit jamais. c'est sûrement ça.
Aujourd'hui papa a (pleuré) plus fort que d'habitude. on sait jamais quand son visage devient si rouge qu'on a l'impression qu'il se consume de l'intérieur, on sait jamais s'il est sur l'point d'exploser ou de craquer. c'est pas pareil tu vois, quand t'explose ça fait du mal alors que quand tu craques tu te fais du mal à toi. papa il va sûrement craquer ou exploser ou même les deux à la fois et maman elle l'aidera pas, ça non. maman a jamais aidé personne. c'est pas sa faute si elle est égoïste, elle se dit sûrement qu'il faut quelqu'un pour penser à elle et que cette personne ça ne peut être qu'elle. c'est un peu c'que tout l'monde recherche.
Alors Bambi elle est encore partie cette nuit. ou elle n'est jamais rentrée. ça fait pas une grande différence. et là elle va chez Camille. chez Camille. Camille qu'elle a pas prévenu. Camille qu'elle veut voir là, maintenant. parfois elle s'imagine chez elle en train de (craquer) dans sa bulle et il y a quelqu'un qui vient l'emmener. parfois cette personne c'est Camille. souvent en fait. parce que Camille lui il sait. il sait toujours tout Camille.
Bambi elle frappe à la porte. c'est pas son genre de passer par la fenêtre, Bambi c'est pas une voleuse. puis elle peut pas voler Camille. parce que Camille c'est lui qui vole.
C'est Betty qui lui ouvre, comme d'habitude. et son regard qui veut tout dire. avec la mécanique qui s'enclenche, celle qui fait vibrer les cils et qui brûle les yeux. mais c'est pas encore le moment. faut attendre pour s'déverser. Camille, c'est pour toi ! qu'elle crie dans l'couloir, il est dans sa chambre.
La porte se referme sur la route. sur la route des regrets et de la crasse.
C'est l'acide dans les veines, le moteur en surchauffe, le cœur maladif et la tête qui a des haut-le-cœur. et Camille. Camille sur son lit en tailleur, son sourire gamin et ses grandes mains. Camille et son parfum, Camille et ses yeux malins. Camille embué par l'eau salée qui s'écoule sans jamais s'assécher. Bambi elle veut pas exploser, mais juste pour cette fois elle va (craquer). juste pour cette fois. juste pour une fois elle veut se sentir toute petite, illisible, comme les petits caractères.
Bambi c'est les petits caractères en bas de la page.

Maman n'est pas là mais la maison n'est pas vide.
Betty elle dit qu'elle part mais elle revient toujours, elle se perd, sur sa route, dans son cœur et dans sa tête, alors elle tourne en rond et retrouve la maison.
Alors Betty est là, encore. Sa jolie bouche en cœur, ses cheveux en bataille et la tristesse au coin des yeux à laquelle Camille peut rien faire. veut rien faire.
Mais y a les automatismes, il a l'habitude maintenant Camille, de gérer la tornade mélancolique ''Betty'', il lui a servit un verre d'eau, puis elle a pas parlé. Elle sait que Camille l'écoute jamais vraiment. Elle a attendu qu'il cuisine, un vrai truc pour une fois, pas une boîte de conserve. Puis elle a mangé. Et camille l'a couché, comme une gamine qui a encore besoin d'un parent, il est resté là, sans rien dire à la regarder jusqu'à ce qu'elle dorme. Puis même après, il l'a regardé encore. Il est triste pour elle, pour son errance. Sa dépendance.
Autonome de rien, accroché à tout.
A tout le monde, surtout à lui.
Est-ce qu'on cesse de souffrir, un jour ? Est-ce que la douleur anesthésie les sentiments après des années à souffrir d'un tout, d'un rien ? Peut-être qu'à l'aube, Betty sourira enfin, qu'elle trouvera sa route, prendra soin de son cœur. En attendant camille il joue les magiciens, il bouge ses grandes mains pour lancer des paillettes, c'est jolie puis ça cache les plaies. Et pendant quelques heures, Betty les oublie. Un petit sourire, infime. Comme l'envol d'un moineau.
éphémère.
Camille, c'est pour toi! Pour qui d'autre ? Personne vient voir Betty. Ou alors ils se comptent sur les doigts d'une main. Faudrait aimer l'entendre pleurer, puis pleurer encore, être essoufflée et recommencer. C'est fatigant d'écouter une malheureuse.
Puis Bambi.
Et un éclat de sourire, transcendant la lassitude de ses soirées auprès de Betty. Elle entre comme une bouffée d'air frais dans sa chambre, comme un soleil alors que la nuit est déjà bien installée. Bambi comme un souffle léger qui revigore. Une chaude couverture en hiver.
Elle a pas parlé, pas agit, rien dit. Mais ça lui suffit.
Bambi, qu'elle parle ou non, Camille écoute. De ses souffles à ses silences, il a tout retenu, c'est intéressé à tout.
S’intéresse à elle.
Mais y a quelque chose de triste dans son regard, une lueur de non-joie qui scintille encore plus à la lumière de sa chambre. Un appel de détresse d'un mutisme qu'il comprend. Elle a le regard Betty. Mais le regard Betty chez Bambi, Camille ça lui broie le cœur. Il a mal pour elle, un peu. Peut-être trop. Il est inquiet, sans vouloir le dire.
Se taire et panser les blessures muettes, il aimerait savoir le faire. Mais ça marche pas comme ça. Alors il sourit encore, sûrement avec l'air con. Puis il arrête parce que justement, il se dit qu'il a l'air con. Il veut pas avoir l'air con devant Bambi. Devant personne en fait, mais surtout pas elle.
Il est tard, tu sais.
Viens plus tôt la prochaine fois, marche pas dans le froid sans moi pour veiller sur toi. Laisse pas l'opacité de la nuit te noyer toute entière. moi j'suis là, j'suis là. et j'attend que ça que t'ai besoin de moi.
Il lui demandera pas ce qui va pas. Pour l'instant. il veut pas la brusquer ni la faire fuir. il voudrait même qu'elle reste longtemps.
ou même toujours.

La chambre de Camille c'est son endroit préféré. avec l'arrêt de bus aussi. parce qu'elle est belle sa chambre, même toute blanche. il y a des photos de garçons et de filles, il y a des photos de lui et de sa famille. des photos de Betty. des souvenirs. des tas de souvenirs. un album photos géant qui raconte une histoire en images. son histoire à Camille. elle aimerait bien être dans l'histoire aussi Bambi, mais ça s'fait pas de demander à être dans sa vie. si ça se fait ? puis en plus son dessus de lit il est tout doux à Camille, c'est comme dormir dans du coton alors que chez elle c'est de la paille qui accompagne ses rêves. pourtant elle sait que c'est mal d'être ici, elle le sait parce que Betty elle l'aime pas Bambi. pourtant elle lui a rien fait tu vois, mais c'est comme ça. parce qu'elle s'approche trop de Camille, parce qu'elle l'accapare un peu. parce qu'elle aime bien Camille. mais ça non plus ça se dit pas.
C'est vrai qu'il est tard. Pardon. elle se sent un peu conne avec ses joues mouillées face à (son) Camille. elle pleure pas Bambi, jamais, mais cette fois c'est pas pareil peut-être. en plus elle a pas l'droit d'être triste devant Camille, non elle a pas l'droit. elle veut pas avoir l'air d'une désespérée désespérément triste. et même si c'est c'qu'elle est, elle a pas l'droit de le montrer. non. alors elle essuie ses larmes d'une main et fait taire ses sanglots silencieux d'un battement de cil. Je... J-Je peux rester ? (pour la vie) mais ça non plus ça se demande pas. il y a beaucoup d'choses qui ne se demandent pas. c'est la vie, c'est ça, on vit sous une censure sentimentale en permanence. une censure qui fissure le cœur.
C'est pas la première fois qu'elle vient se réfugier ici, Bambi. elle vient dès que papa (pleure) et que maman s'en va. avant elle se réfugiait sous son lit quand ça arrivait les poussières comme seules témoins de son chagrin. puis après l'arrêt d'bus qu'elle ne quittait jamais. mais la chambre de Camille c'est mieux que sous son lit humide ou l'arrêt de bus des étoiles. la chambre de Camille c'est sa cachette favorite quand la vie lui fait des coups d'pute et qu'elle sait pas comment faire pour s'en protéger. la chambre de Camille c'est une boite à souvenirs qu'elle s’approprie parfois.
Même si c'est mal, même si ça se fait pas.