Décris-nous ta relation avec tes parents : pa... pa-rents. un mot, des absents. un mot insignifiant. un mot écorché dans un cœur encore trop embué par les souvenirs trop rares qui lui vrillent la cervelle. elle aimerait les aimer, la belle tatouée. mais elle ne parvient qu'à cracher son venin, sa déception d'avoir été ainsi créée pour être ensuite abandonnée. elle aimerait les voir pour leur refaire le portrait, mais elle ne peut qu'attendre. vivre sans eux, aller jusqu'aux étoiles et s'étendre. elle est partout, la belle blonde, pour montrer au monde entier qu'elle ne se résume pas qu'à eux. qu'elle est plus que ça, plus qu'une cadette entre deux. elle lève son majeur à l'évocation des géniteurs. elle hurle sa rage, hurle son désespoir. elle n'est pas aimée. et ses soeurs, surtout l'ainée, ne sont pas plus présentes. elle aussi, elle les a lâchées. jeff et chris. deux orphelines reliées par un lien du sang ténu, par des gestes provocateurs de la part de la cadette pour obtenir ne serait-ce qu'un peu d'attention de l'entre-deux. parce que sans elle, elle est seule. petit démon dont personne ne veut. alors même si ça blesse, même si c'est dangereux de chercher à provoquer jeff, c'est l'une des seules choses qui lui passe par la tête. idée fixe, fixée l'idée dans sa caboche pleine d'espoirs avortés, pleine d'espoirs violentés. elle les hait, parce qu'elle les aime trop. et parce qu'elle ne comprend pas, la belle ingénue, la belle inconnue, pourquoi elle porte ce nom qui ne signifie rien. tout ce à quoi il sert, c'est la relier à sa sœur, la muette, qui ne l'ouvre jamais trop et qui ne sait l'aimer. au fond, chris, elle est toute seule au milieu d'une foule d'inconnus... un petit rien, une grande perdue. // Comment ça se passe au lycée ? : bouillon des cultures. elle cultive, elle aussi. tous, des jardiniers. la réputation. ré-pu-ta-tion. un seul mot aux lèvres. quatre syllabes. une pression sur les épaules. le poids du monde, même. être relégué aux rangs des ringards, et c'est fini. elle exhibe sa chair, se maquille trop. enrobe ses lèvres de vermeil pour mieux attirer l'attention. twitter. instagram. facebook. les photos pulsent, partout. on y voit chris, avec ses amis, seule. chris débraillée. chris déboutonnée. chris heureuse. chris qui cache ses malheurs avec des sourires faux, des sourires qui pourtant sonnent vrais. le lycée, c'est toute sa vie. la hipster, elle a besoin de se montrer différente. de se sentir aimée. parce que ses parents, ils l'ont jamais fait. et c'est pas les seuls. elle fait l'idiote pendant les cours. passe ses après-midis libres enchaînée à une table, collée. elle est pas idiote, chris. elle a juste besoin de reconnaissance. et tout le monde sait qu'au lycée, les intellos sont les moins aimés. alors elle fait tout pour qu'on la voit. qu'on la remarque. qu'on l'aime, qu'on l'adule. qu'elle soit star de cinéma : étoile brillant dans les prunelles de tous les autres lycéens. un sourire toujours ancré sur ses lippes, des tatouages qui recouvrent beaucoup trop sa peau et ladite peau que l'on voit trop. elle se fait réprimander, chris. tout le temps. mais elle s'en fout, elle en rit, s'en vante auprès de ses amis. dresse un majeur en arguant qu'ils sont tous cons, ces pions, ces dirlos. qu'ils vont chier. elle a pas peur des mots, chris. c'est une rebelle, et elle est belle. mais chris, elle saurait pas croquer la vie à pleines dents sans millie. parce que millie, c'est une grosse partie de sa vie. elle lui avouera sans doute pas. elles s'enverront souvent des piques, comme toujours. mais millie, c'est le rêve de chris. le modèle aussi. c'est cette petite poupée brune sans qui la vie ne serait qu'ennui. le lycée, c'est tout et c'est rien. mais c'est surtout du temps de perdu, du temps gâché et du temps à apprécier.