Décris-nous ta relation avec tes parents : C’est… bizarre, ce qui n’a rien de surprenant sachant que je suis moi-même bizarre. Quand j’étais petite, tout allait merveilleusement bien, ils m’aimaient follement, le DRH bosniaque d’une boîte de surgelés et l’infirmière au blond typiquement californien. Les années ont passé, ils ont vieilli mais je n’ai pas grandi. Encore aujourd’hui, je clame fièrement « I’m a pirate, motherfucker ! » à qui veut l’entendre, la note finale de grossièreté trahissant seulement les ravages du temps sur mon éducation. Je m’obstine à être bizarre, à vivre dans mon monde, et je crois que ça les exaspère. Ils m’ont interdit de porter mon vrai chapeau de pirate en public – « Mais que vont penser les voisins ? », se disaient-ils sûrement alors même que leur concubinage se critique de murmure en murmure. Ils m’aiment toujours autant que quand je régnais sur des mers chimériques, c’est juste qu’ils me comprennent plus.  // Comment ça se passe au lycée ? : Je sais pas trop. Je veux dire, tout ce qui est langues et littérature, je m’en sors parce que je me démerde efficacement pour baratiner ; le reste est « catastrophique » - pour reprendre le terme fétiche de mon père, avec son lourd accent slave. Trop d’absences, trop de devoirs non-rendus. Ce sera sans doute le joint de trop fumé dans les toilettes qui me dégagera du lycée. Avec les gens, je… je crois qu’on ne m’aime pas trop, parce que j’ai les couilles de vivre en me foutant totalement des qu’en dira-t-on. Pas vraiment que je me sente l’âme rebelle, pas que je ressente le besoin d’attirer l’attention, de jouer les pétasses inconscientes pour me convaincre de ma place sur Terre. C’est juste que je suis au-dessus de ça, gosse perchée et indolente. Les gens du lycée, je les connais parce que je couche avec eux, que je me bourre la gueule et me défonce la cervelle avec eux ; parce que parfois on fume une clope ensemble ou qu’on s’échange nos devoirs pour copier l’un sur l’autre… Nous sommes compagnons d’autodestruction salvatrice, partenaires de galères scolaires. Mais foncièrement, y’a pas grand’monde pour me connaître vraiment, pour savoir que je suis mi-bosniaque, que je porte le nom de ma mère car mes parents ne se sont jamais mariés, qu’en vrai j’aime autant les filles que les garçons et que je meurs d’envie d’en sentir une frissonner sous mes mains…  Je suis trop haut pour eux, trop high – et je ricane à ce jeu de mots, lève ironiquement ma pipe de crack avant d’aspirer profondément en chauffant le caillou de mon feu.