Mes mains tremblent sous l'effet du manque, et la douche gelée ni change rien. J'ai besoin de mes médicaments, j'en ai besoin, maintenant, maintenant, maintenant. Mes pensées sont de plus en plus  floues, hachées, et j'ai l'impression que mes cauchemars de la nuit refont surface se mêlant à la réalité. Ce n'est plus de l'eau qui coule sur mon visage, c'est rouge, c'est du sang, je suffoque avant de déglutir et de sortir de la douche pour m'écrouler sur le carrelage froid dans la salle de bain.
boom boom boom boom
Mes veines tentent de transpercer mes tympans, je les arracherais un jour, j'en suis certain, mais je n'ai plus aucun contrôle sur mon corps. Ma respiration ; je suffoque. Mes yeux ; ils partent en vrilles. Ma voix reste coincée dans ma gorge. Je finis par me résoudre à crever là, à poil, à cause d'une simple addiction aux anxiolytiques.
« Ça ira mon ange. »
Mais ça ne va jamais.
L'odeur du sang a laissé place à celle du vin et de la clope, mes yeux ne distinguent plus la réalité des illusions que créaient mon cerveau à l'agonie ; l'image qui me parvient de ma mère est celle d'une femme à la peau pellées, aux yeux arrachées et aux mains liées par des menottes argentés. Mon instinct de petit garçon reprend le dessus. Je me met à crier. Je crois. Je n'en sais rien. Le monstre qui se tient devant moi m'enfonce trois pilules au fond de ma gorge que j'avale sans déglutir avant de sombrer.
Le réveil est douloureux.
C'est toujours comme ça.
Ma gorge, mes yeux, ma tête, tout mon être cri à l'aide.
Mais je m'en fous. Ma mère a cédé ; j’aperçois une ordonnance valide sur le bord de l'évier.

Entretenir l'illusion.
Il me faut moins de dix minutes pour prendre une nouvelle douche, m'habiller et faire disparaître les marques causées par la fatigue.
Tout n'est qu'illusion.
Toujours.
Mais il suffira toujours de souffler aux bons endroits pour révéler les cicatrices. Et moi j'en ai. Des tas.
Ma mère m'appelle son ange. Elle dit que je suis ce qui la maintient en vie. Et moi hein, qu'est ce qui me fait tenir ? Mes doigts caresses machinalement mes marques à travers mon t-shirt, ces cicatrices-là, elles ne disparaîtront jamais. Ma maman dit que c'est comme ça qu'on devine les anges, qu'il y a de la pureté dans tout ce qu'ils font, dans leur regard et dans leurs mots, parce qu'ils savent ce que ça fait de vraiment souffrir, et les marques de leur souffrance, ils les portent sur eux.
Mais ma mère, elle boit trop. Elle ne sait jamais si ses mots viennent d'elle ou de son verre. Mais je la laisse dire, pour elle je suis gentil, et ça lui fait plaisir.

Mais moi je suis sale.
Mais moi je suis un tyran, un gentil tyran. Qui joue à un jeu très très méchant.
Quand je vois Oscar dans les couloirs du lycée, mon regard ne croise pas le sien, je préfère observer le visage d'April et son sourire forcée. Sa main reste collée à la mienne laisse sous entendre que la fête organiser chez moi c'est bien terminée. On fait ça pour s'amuser, parce qu'on a dix sept ans, parce qu'on a rien à perdre rien à prouvé.
Et en cachette, je sens mon cœur se serrer de savoir que j'arrive si facilement à blesser ce crétin sans avoir de regrets.
Quand je vois Oscar dans le même bus que moi, j’attends les virages pour laisser mes doigts effleurer les siens. Je le vois esquisser un sourire tandis que je continue d'afficher mon masque d'indifférence.
Et en cachette, je sais ce qu'il s'imagine mes pensées : je ne l'ai pas fait exprès, le chauffeur a été trop brusque, et ce crétin était à côté.
Quand je vois Oscar seul chez moi, je laisse mon masque tomber, je n'ai plus peur de me dévoiler, et je me sens enfin en sécurité. Je sais qu'il ne va pas m'abandonner, et peut-être qu'avec un peu de chance, il continuera même de m'aimer.
Et en cachette, mon cœur ne veut pas se calmer ; je crois que je suis amoureux de ce crétin.

camille / stylespleen / 18ans / petit mot