t'es né ici et là-bas, t'en sais trop rien.
tu sais même pas qui t'es.
tu sais même pas pourquoi tu t'appelles comme ça.
ça vient d'où, au fait ? et ce nom ? il est à qui ce nom ?
et puis les yeux ? yeux chéris de tous, ils viennent de qui ? un du père, un de la mère ? tu sais pas, tu veux pas savoir, et le premier qui vient te parler de tes parents, tu lui craches à la face, tu craches ton venin, ton poison qui dit bien d'aller se faire foutre, parce que toi, loen, t'es le fils de personne et c'est très bien comme ça, pas vrai ?

toi, t'as toujours vécu là-bas, dans cet orphelinat de malheur,
parfois de bonheur.
t'as partagé des trucs qu'on appelle sentiments avec des gosses de ton âge à peu près, tu les partages toujours, mais moins souvent, avec moins de gosses. t'aimes pas ça toi, partager. puis, les sentiments, tu les aimes pas non plus, et eux, ils te détestent.
oh non, c'est pas pour autant que t'es triste, au contraire. tu pues la joie de vivre, même si ça se voit pas tout le temps, parce que des fois, t'es juste en train de planer dans un autre monde.

parce que ouais, ça t'arrive des fois, à la sortie des cours, de toucher à deux-trois trucs pas nets avec tes genres d'amis. "genres", parce que tu dis que t'as pas d'amis, que t'en veux pas.
pourtant, t'es populaire.
pourtant, les filles, elle t'aiment bien. ou elles aiment ton mystère.
pourtant, même les garçons, ils t'aiment beaucoup.
mais toi, tu veux aimer personne, peut-être parce que personne ne t'a aimé à ta juste valeur. enfin si, y a bien cette vieille, à l'orphelinat, qui te prend pour son gosse, t'es son préféré, parce que t'as les yeux vairons, ça t'a toujours aidé dans la vie, ça. les yeux vairons. t'as toujours des connards qui te demandent si tu portes des lentilles, t'as envie de leur exploser les dents à chaque fois.
mais tu te retiens.
t'es violent, loen.
mais t'es beau quand t'es violent.
un jour, ça te perdra, de frapper pour rien. mais tu t'en fous, tu t'en fous de tout, tête brûlée, anarchiste dans l'âme, t'es étrange, tu sais ça ?

en parlant de ça, la violence, ça te fait penser à cette fille.
jolie fille.
trop bien pour toi.
mais elle le comprend pas.
et toi, tu la repousses, tout le temps, parce qu'elle est trop bien, trop jolie, parce que t'as promis que tu t'attacherais à personne. sauf que tes promesses face à elle, elles se réduisent en poussière.
elle était là, à dix-huit heures en hivers, devant les barreaux du portail de ton lycée, son lycée à elle aussi.
tu l'as bien vu.
t'as failli tomber.
tomber amoureux.
mais tu t'es rattrapé, tu t'es dit "fais pas le con", mais tu l'es déjà, con, alors à quoi bon ? t'as ressenti un truc dans ta poitrine, ou dans ton cœur, pourtant, les filles t'ont affirmé pas mal de fois que toi, t'as pas de cœur, alors ça t'a fait bizarre.
tu la vois souvent, tu lui cours souvent après, quand c'est pas elle qui te court après. et vous vous faites mal tout le temps, vous aimez ça, pas vrai ? vous rendre jaloux, vous repousser, vous insulter, vous battre comme deux gamins. toi, loen, si tu fais ça, c'est parce qu'elle est trop bien pour toi, parce qu'elle peut pas te comprendre. toi, t'es la merde de  ce monde et elle, elle pourrait être tous les joyaux du monde. alors ça peut pas coller, pas vrai ?

t'as pas vraiment d'histoire, puis t'as que dix-huit ans. tu te crois tout permis, mais c'est loin d'être le cas, parce que t'es bloqué dans l'orphelinat et que t'as nul part où aller.
alors tu restes avec les enfants perdus,
tu restes coincé dans ton monde sauvage et froid.
tu t'échappes comme tu peux, en inventant des vers dans ta tête les soirs sur les toits de palo alto.
et ça te va toi, cette vie.
elle est pas géniale, pas sublime, pas faite de diamants, mais tu t'en fous. t'aimes bien ta vie de vagabond.

romane / blinded in chains / 18 ans / fesses (c'est un petit mot c'est pour ça)