Récréation de 10h. Pas sûr qu'on ait le droit de fumer ici. Elle sait plus. Elle a oublié, encore. Tant pis. Elle est douée pour s'en sortir. Elle est bonne élève, les profs lui pardonnent facilement. Elle sort une Winston de son paquet presque vide, la porte à sa bouche. Jette des regards furtifs autour d'elle, balançant ses longs cheveux derrière ses épaules. Elle a pas eu le temps de se maquiller ce matin. En retard. Une nuit d'insomnie. C'est fréquent ces temps-ci. Comme si son esprit ne voulait plus oublier, comme s'il voulait toujours rester éveillé. Hé quoi, t'as peur de l'oubli maintenant ? Elle a un sourire amer en cherchant son briquet dans ses poches. Elle le trouve plus, elle grogne, cherche frénétiquement dans son sac. Bordel. A tous les coups, c'est Ernest qui a oublié de lui rendre. Putaaain, marmonne-t-elle, fronçant les sourcils.  

Le réveil n'avait pas sonné ce matin là. Ou plutôt, il avait sonné, mais Louis l'avait éteint en grognant, s'était retourné, et s'était rendormi. Maintenant il déambulait à travers la cour, sac quasi-vide sur le dos, cheveux ébouriffés, plastronnant comme d'habitude, avec son sourire éternellement ironique scotché sur le coin des lèvres. Grimace qui s'élargit lorsqu'il la voit tapie contre un mur comme une bête sauvage. Ça l'étonne presque qu'elle soit pas avec Ernest, qu'elle aie osé évolué toute seule dehors. Elle a l'air tellement fragile parfois. Changeant sa trajectoire, Louis vint se poser à coté d'elle, lui tendant son vieux Bic, toujours cette demi-teinte de moquerie dans sa voix. Tiens, Chat. Regard appuyé, sourire en coin.

Et voilà que le prince charmant débarque avec son air défait et ses cheveux en bataille, sourire moqueur en prime. Et le coeur de la brune qui tressaute dans sa poitrine. Un peu, pas beaucoup. Ses yeux verts rencontrent ceux de son amant d'un air revêche, mais un sourire amusé prend place sur ses lèvres charnues. Elle s'empare de son briquet, ses doigts effleurant les siens un peu trop longtemps pour que ce ne soit pas voulu. Le porte à ses lèvres et fait coulisser la roulette, laissant la flamme lécher sa cigarette qui lâche un nuage de fumée grise. Inspirant la première bouffée avec soulagement, la brune s'appuie contre le mur en fermant les yeux, soufflant la fumée entre ses lèvres presques closes. J'suis fatiguée, dit-elle, tournant ses grands yeux clairs vers le blondinet. Besoin de se plaindre, dire quelque chose de banal.  

En guise de réponse, Louis grogne, s'assoit d'un geste souple, et jette son sac à coté de lui. Il l'ouvre, sort machinalement son tabac et commence à rouler, ses yeux clairs baissés. Il n'a rien de particulier à lui dire, pas si tôt le matin. Enfin, tôt. C'est tôt pour lui. Clope roulée, il la porte à ses lèvres, l'allume et tire, le tout en silence. Quelques tafs plus tard, il soupire longuement, et la toisa un instant. Ça fait un moment qu'ils se sont pas retrouvés seuls tous les deux. L'est mort Ernest ? lâche-t-il soudainement, mettant une main derrière la tête pour s'appuyer paresseusement tout en lui lançant un regard curieux.

Elle porte de nouveau sa cigarette à ses lèvres, glissant un regard vers lui quand il s'assoit à ses côtés, sortant son tabac à rouler. Ah oui. Ce qui lui vaut souvent les remarques du genre " gosse de riche ". Ses deux acolytes roulent, elle achète des indus', même si elle est fauchée. Un des seuls luxes qu'elle se permet en fait. A sa question, elle balaie la cour du regard, les yeux plissés, se grattant machinalement la cuisse. Il fait chaud en ce moment, elle se promène jambes nues. Avec un short jaune un peu trop court. On s'en fiche. Elle s'en fiche. Elle s'en fiche de ce qui peut arriver. Probablement rien. Elle aura des remarques à la maison. A moins qu'elle ne squatte chez Louis. Ce serait bien.. J'sais pas où il est le couillon, pas loin j'suppose. répond-t-elle en se laissant glisser au sol, s'asseyant près de Louis. Il est au lycée au moins ? Faudrait qu'elle sorte son téléphone. La flemme.

Ça t'faisait presque chier d'être en retard, surtout pour les copains. Et tu crachais tes poumons, merde alors, fallait arrêter avec ces demoiselles gitanes, leur fumée voluptueuse et leur goût corsé. Ça faisait bonhomme, mais ça donnait une haleine de chien et ça niquait la gorge. Alors après cette course folle, arrivés à bon port, tu craches aux pieds de Louis et Sasha, ta manière à toi de leur dire bonjour. Ton regard d'un bleu éternellement triste se plante d'abord dans celui de la belle, lui faisant bizarrement écho. J'vous ai manqué mes biches ? que tu sors, d'un ton triomphant. Tu lis le soulagement sur leurs visages, la tension entre les deux se sentait à des kilomètres. T'aimais pas ce qu'il se passait entre eux, c'était malhonnête et étrange. Avec le temps tu t'étais habitué, t'attirais l'attention sur toi, histoire qu'on t'oublie pas. Histoire qu'ils s'oublient eux, histoire de détendre le truc quoi. A Louis, tu lui donnes une simple pichenette sur la joue, tu sais qu'il a horreur de ça. C'est quelle heure ? Ton portable avait dû s'égarer, quelque part.

Ils roulaient bien tous les trois, trois énergies différentes qui permettaient de se tempérer l'un l'autre. Ernest l'enfant, Sasha la pensive et Louis le connard. Il les appréciait tous les deux, à sa façon, sans jamais savoir comment le dire, plutot apte à les repousser qu'à les enlacer. Aux mots de Sasha, le blond releva les yeux, dégainant son téléphone de sa poche de jean trouée. Il lâchait jamais cet engin là, une vraie meuf. Mais il devinait déjà la silhouette mince de leur ami traversant la cour, et Louis eut tout juste le temps de peindre une moue faussement désapprouvante sur ses lèvres fines. T'es en retard, bâtard dit-il en lui mettant un coup de poing dans l'épaule, pour le repousser de sa joue. Plus vite que son ombre, il jeta un oeil à son portable. Dix heures douze.

Quand on parle du loup, on en voit la queue. Voilà le nigaud qui s'ramène de son pas sautillant, ce qui fait légèrement sourire Sasha. Elle retire ses pieds d'un geste habitué lorsqu'il crache par terre, ramenant ses genoux sur sa poitrine, les entourant de ses longs bras dénudés et parsemés de tâches de rousseur. Elle était soulagée qu'il soit là en fait. C'était bizarre avec Louis. Surtout le jour. La nuit, tout était permis, ils se permettaient un peu ce qu'ils voulaient. A découvert, Sasha ne savait jamais vraiment comment agir. Alors elle laissait faire, un peu amorphe, fatiguée de devoir se prendre la tête à ce sujet. Non pas qu'elle se soit vraiment pris la tête un jour. Ou peut-être que si. Elle savait plus non plus. T'es chiant avec tes retards Erny, maugré la brune avec un sourire malicieux, sachant pertinemment qu'il n'aimait pas ce surnom que les deux lui donnait pour l'énerver. Aux mots de Louis, elle tire vivement sur sa clope. Hm, j'vais devoir bouger vite alors ... A moins qu'ils aient un programme plus intéressant à lui proposer que son cours de mathématiques ?

le temps passait trop vite ici, le temps passe trop vite avec eux, et tu pourrais rester ici des heures, assis en tailleurs au milieu des mégots de cette cour bien grande et bien sinistre. tu sors ton éternel paquet de gitanes, puis le feu de sasha, lui agitant presque sous le nez. et avec tout autant d'insolence, t'allumes ta clope ici. mais voilà, pas sûr que ça passe aussi bien pour toi que pour sasha, suce-boules des profs en chef. t'aimais bien la taquiner sur le sujet, d'ailleurs. faites pas vos meufs. avec le temps, ils auraient pu prendre l'habitude, quand-même. ton regard vint questionner louis. bah, on a sport nous. les cours de sport, toujours le bon plan pour sauter sur les tapis de gym comme des connards, et s'amuser à coincer les ballons de volley dans les spots d'éclairage.

Ouais mais comme souvent, Louis avait la flemme. La flemme de se traîner jusqu'au gymnase, la flemme de répondre présent, la flemme d'éteindre sa clope, de se lever. Il était tellement bien, adossé à ce mur avec le petit soleil matinal lui aveuglant la gueule, clope au bec. Jsais pas si j'y vais, Ernest. dit-il en jetant un regard incertain à son pote, comme pour lui laisser le choix de le motiver ou de venir glander avec lui. Certes ils étaient dans la même classe, mais ils se voyaient assez rarement en cours : Soit l'un séchait, soit l'autre, soit les deux. Toi tu fais quoi mistinguette ? Il posa son regard clair sur le visage de Sasha, parsemé de tâches de rousseur. Il l'aimait bien, et appréciait le temps passé à trois, même s'il ne saurait jamais leur dire. Cependant, il doutait fortement que Miss Bulletin Parfait sèche un cours pour traîner avec eux. Elle l'avait déjà fait, mais Louis savait qu'elle le regrettait quelques minutes plus tard. Tellement plus facile de s'en foutre.

Elle réfléchit rapidement, écrasant sa cigarette fumée jusqu'au filtre sur le sol, dans un grésillement léger. Elle ouvrit ses lèvres pour libérer la dernière bouffée de fumée et se frotta ses yeux fatigués, grimaçant quand Louis l'appela ainsi. Les trucs trop féminins et mignons, c'était pas trop son truc. Mais elle disait rien, elle laissait passer. Ernest parlait d'aller en cours, ce qui n'était pas tant surprenant, c'était plutôt Louis que l'on voyait peu en classe. Et visiblement, le choix final lui incombait. Soupirante, elle tourna son regard vert vers Louis, un petit sourire aux lèvres. < Mmh, j'ai pas trop la tête à faire des exponentielles là ... > Elle leva les bras pour s'étirer, baillant. < Quoi q'vous faites j'vous suis. > grommela-t-elle, les regardant à tour de rôle. Elle se sentait d'humeur à vagabonder dans le lycée, à tailler les poufs, à se défoncer, à faire des bêtises. Elle avait besoin d'oublier, encore.  

biensûr, la réponse de louis ne t'étonnait plus qu'elle ne l'enchantait. dommage, ça faisait longtemps que t'avais pas rigolé avec louis en sport. ces derniers temps il était absent, dans tous les sens du terme, et tu te sentais plus seul que jamais, quand sasha restait sagement en permanence. ta cigarette trop rapidement fumée, tu écrases le mégot sur un morceau de papier, perforé d'un trou qui le dévorera tout entier. et tu regardes, fasciné. tu soupires. j'vous préviens, j'ai pas un rond. vous vous démerdez pour voler une 'teille de wisky. il va me rôder l'autre con. tu faisais allusion au gars qui tenait la supérette et à ta nuit passée au commissariat, une de tes nombreuses nuits là-bas d'ailleurs, pour vol principalement, et autres petits délits. tu te lèves, t'étires. tu faisais encore ce truc débile de gamin, celui d'étirer tes mains le plus loin possible, comme pour chatouiller le ciel, dévoilant ton nombril à quiconque voulait le voir. tu tends une main vers louis, complice, pour l'aider à se lever. sasha refuserait son aide, très probablement.