gros écouteurs inconfortables sur les esgourdes, je plane dans les rues nombreuses de la ville endormie.
j'suis sourde du monde extérieur. il n'y a que moi et ma musique tonitruante et diabolique. yep. j'écoute du stravinsky. pan pan pan pan font les cuivres. tan tala tala répondent les bois. puis le pianiste qui se déchaine, crachant tous ses regrets sur les notes monochromes. cerise sur le gâteau, les violons déments, accompagnés par leur grand frère violoncelle. tout ça me rend folle. folle de joie, folle de vie.
les lumières des chaumières éclairent le tarmac humide sur lequel je marche avec mes bottillons fuchsias. le ciel pleure des larmes grosses comme des diamants, mouillant ma chevelure charbonneuse. pourtant il y a un capuchon sur mon imperméable jaune comme le soleil. mais je m'en fiche. moi je fume mon amie marie-jeanne, loin de mes parents, loin de mes problèmes. et je souris. oui, je souris. 

pendant ce temps, le tonnerre gronde.
mais j'entends rien.

la rue. la nuit. la lune qui me surveille de loin, comme maman. il pleut sur la ville, ça lui donne un air romantique. je crois. j'ai répondu à l'appel du tonnerre comme on répond à l'appel d'un pote qui vous invite à sortir tard le soir, à faire le mur quand les parents dorment. il a frappé des coups dans le ciel et moi j'ai pris ça pour des cailloux lancés à la fenêtre.
il pleut, je dégouline. mes chaussures font couic-couic à chaque pas. mais tout ce que j'entends c'est le tonnerre. tout ce que je vois c'est les éclairs qui illuminent le ciel par à-coups. je crois qu'ils me fêtent. j'essaye de le regarder ce ciel, même s'il me cache la vue des étoiles avec sa pluie. tout ce que j'arrive à voir, entre les éclairs, c'est le noir. même devant moi c'est le noir. et une tâche jaune. une tâche jaune et un point de braise. semblant de chaleur dans le froid. j'ai même pas de manteau.
t'aurais une clope ? que je demande à la tâche jaune. c'est une fille. une jolie fille perdue dans un anorak trop grand. une jolie fille qui gigote au rythme de sa musique. est-ce qu'elle m'entend ?

un éclair déchire le ciel et tombe sur la terre des hommes.
j'pense souvent à l'endroit où l'éclair frappe. je me dis que ça ne peut pas être lié qu'au simple hasard. que tout est calculé par une force vengeresse qui frappe les endroits qu'elle a envie de frapper. je n'ai jamais vu un éclair s'abattre sur le sol. j'aimerais ça.
du temps qu'elle ne me tombe pas sur la tête.
j'suis une chasseuse d'éclair, recherchant le spécimen parfait. j'observe la nature déchaîner toute sa colère sur notre monde, avec comme parfaite bande sonore le sacre violent d'igor. et j'vois quelqu'un. devant moi. pas de manteau. j'vois un garçon seul contre la pluie. et il s'arrête. je jette sur le sol ce qu'il restait de mon amie et je lui souris. il me parle. j'fixe ses lèvres et j'essaie de comprendre. c'est une question. c-l-o-p-e. il veut une clope. ça tue ça, la cigarette. j'enlève mes écouteurs sans arrêter la musique.

- nan, désolé, j'fume pas. mais j'ai de l'herbe.

on dirait que j'suis une dealeuse.
mais non. j'suis seulement nana.

elle fume pas. mais elle fume. ça rend fou ça, l'herbe. fou de la nature (fou du tonnerre ?), fou des formes, fou des couleurs, fou des sons. fou tout court parfois. j'la fixe à travers mes cheveux qui coulent devant mes yeux. son petit bout de braise s'est éteint dans la rivière à nos pieds, le caniveau. elle a un sourire qui brille comme un lampadaire. un peu artificiel (c'est l'herbe peut-être ?) mais lumineux quand même. je crois que je fronce les sourcils. j'suis pas sûr, j'les sens pas, je suis frigorifié.
ça se tente.
c'est parce que c'est ma fête, j'ai le droit. un éclair s'écrase pas loin, je crois qu'il approuve. la lune s'est cachée derrière un nuage. c'est mieux qu'elle ne me voie pas. comme maman. c'est mieux. l'anorak jaune ne fait un peu mal aux yeux au final. il fait trop noir autour.
peut-être qu'on devrait trouver un endroit sec ? enfin je sais pas...
en fait je sais. on peut pas rouler sous la pluie. mais j'ai pas encore décidé quel Orion j'étais ce soir, alors je vais faire comme si je savais pas.

elle fume pas. mais elle fume.
je fume. mais je fume pas.
sauf ce soir.
sauf avec la fille au sourire-lampadaire.