Décris-nous ta relation avec tes parents : je les emmerde. j’emmerde aussi l’humanité. l’avenir. les bureaucrates. les parents irresponsables. les gamins désabusés. les mots accusateurs. les fils de toutes les putes snobs. la vérité. le mensonge. la trouille. les couleurs. la mort… l’inconnu. le géniteur. ouais, surtout le géniteur, ce putain d’alcoolo. décédé. papa s’est fait descendre avant mes six ans. et m’a abandonné, sans jamais me protéger, l'enculé. maman n’est pas méchante. elle a perdu son job quand le passé du géniteur a éclaté, quand la petite bourgade a découvert qu’il était un criminel récidiviste et taulard. personne embauche maman à cause de l’autre bâtard. alors maman se pose sur le trottoir car à la maison, on frôle parfois la famine, la frangine et moi. maman pense que j’ignore ce qu’elle fabrique la nuit… naïveté. je l’aime, maman, mais pas souvent… son métier me dégoute. alors je prends mes distances. Comment ça se passe au lycée ? je suis l’inconnu muet d‘la salle, j’ai beau m’asseoir au fond de la classe, c’est pourtant moi qu’on vise avec les boules de papier remplies de crachas en pleine face. ça a commencé en primaire, les brimades. quand la maîtresse a balancé mon problème oculaire devant toute la classe. les marmots, ça te baise avec leur innocence mais t’encule avec leur insolence. les marmots sont bêtes, peu importe l’âge, ils comprennent pas que la différence ne doit pas être éradiquée… même les adultes comprennent pas l’achromatopsie. l’absence de couleurs. le lycée, c’est un nid à maladies ; la pire maladie qu’on connaisse s’appelle l’homme. je rêve d’appuyer sur la gâchette pour les éradiquer. car mine de rien, l’ersatz que je suis, ne rêve que d’une foutue reconnaissance… même si, pour y parvenir, il faut passer par la vengeance. ou tirer sur moi-même, peut-être, je sais pas, c’est flou dans ma caboche craquelée. je rêve d’être reconnu en tant qu’être-humain, je rêve d’en finir de cette semi-existence de pestiféré. alors… vends-moi du rêve et dis-moi… dis-moi que la vie est belle. parce que je suis certain que quelques personnes seraient heureuses de me voir en vie. de dépit, j’en ai marre de penser qu’en guise d’amie, mon ombre suffit.