Décris-nous ta relation avec tes parents : ils sont où ces enculés, hein ? ils sont où quand on a besoin d'eux ? Le rouge à lèvres dépasse de sa bouche monstrueuse tandis qu'elle hurle sur sa sœur une vie qu'elle n'a pas eue. ils sont pas là Jeff, oublie jamais ça, ils ont jamais été là. La gamine attend dans une patience – habitude – silencieuse. Un, deux, trois, et elle pleurerait. Un, deux, trois et les années passeraient, les expulseraient, elles et leurs naïves colères. ils reviendront jamais, faut arrêter d'y croire, faut te faire une raison, un diplôme, un boulot, un décolleté, j'm'en tape mais fais-toi quelque chose, ouvre ta gueule et bouffe les tous, Jeff, allez. La brune parle aussi vite que les larmes qui noient sa peau sucrée. Océan sur ses joues maquillées d'un noir vulgaire – de sillons d'espoirs anéantis. allez, parle-moi Jeff, j't'en supplie, parle, parle, parle-moi. Ça fait trop longtemps maintenant que j'ai pas entendu ta voix. Comment j'fais si t'y crois pas ? Comment j'fais si tu m'aimes pas ? T'es ma famille merde, Jeff, parle, parle, parle-moi. La blonde ferme ses yeux trop bleus, trop grands, trop vieux et caresse tendrement les boucles emmêlées de celle qui l'a élevée. t'es belle Jeff, trop belle, tu t'en sortiras jamais. Elle sourit et l'aînée laisse sur sa joue un baiser déformé. Son rouge à lèvres n'a toujours pas retrouvé les traits fins de sa bouche, c'est la nouvelle mode, ça va se lancer, c'est comme les rêves de liberté et les enfants élevés par les chiens, ça va se lancer, elle le répète depuis des années. ça va se lancer, Jeff, t'entends ? Depuis des années. Elle prononce le silence de cette gosse qui n'est plus la gosse de personne, de cette gamine qui s'en sort de justesse, elle parle trop vite, trop fort, trop longtemps. tu pourrais me répondre, Jeff. Tu fais chier. elles se regardent et sourient. Ça pue, là-dedans, ça pue l'amour et la famille débordée. Comme le rouge de ses lèvres – comme la vie de ses yeux. // Comment ça se passe au lycée ?  Tout le monde est handicapé Jeff, tu m'entends ? Tout le monde. Tu sais pas parler toi mais y en a qui savent pas penser, y en a qui savent pas aimer, t'as de la chance toi, y en a qui savent pas vivre, pas réfléchir.  La grande sœur est belle et serre fort dans sa main les doigts de la muette. Son rouge à lèvre est bouffé par l'angoisse, il est rongé par les mots durs des professeurs et les menaces des psychologues. Ils croient que t'es bête, ils croient que je suis naze, que j'ai pas su t'éduquer.  Elle se penche en montrant sa culotte-paillettes et un peu de ses seins fleuris. Ils croient que tu parles pas parce que t'es conne, ils comprennent pas que tu dis rien parce que t'as rien à leur donner. Ils voient pas la vie dans tes yeux, c'est eux les nazes, c'est eux les nazes, t'entends Jeff ? Ca va aller, dans un an c'est le lycée, ça va aller là-bas, t'es magnifique, ils vont t'adorer.  La blonde se cache dans les seins fleuris et inonde ses joues de cauchemars pas finis. Pleure pas Jeff, ça va aller, j'te promets, j'te promets.   - L'entrée au lycée est calme malgré les yeux rouges et les lèvres closes. Les bousculades sont plus douces et on la laisse dans ses étoiles, on l'oublie sans insister. Et puis y a Anton qui est pas loin, y a ce gars bizarre qui lui parle sans s'arrêter et qui fout des clopes comme des caprices dans sa bouche.  Les professeurs attendent ses mots – ceux qui ne viennent pas – et soupirent sur ses copies. L'aînée gueule parfois mais comment tu fais pour être aussi intelligente ! Regarde ça ! Quelle conne tu fais d'être aussi douée, Jeff, t'es trop forte pour eux, tu seras présidente et tu me tiendras la main, Jeff, tu seras présidente, présidente Carewall Jeff, t'entends comme ça claque ?   L’aînée comprend de moins en moins, l'homme qu'elle embrasse avec sa bouche trop petite lui fait fumer de quoi l'envoyer sur Mars mais y a que Jeff qui vole, y a qu'elle qui s'envole sur les bancs de son lycée pour plus entendre sa sœur disparaître dans l'amour qui finira par l'enterrer.