C’est dimanche après-midi.
Je pense beaucoup à Pablo.
À ce que j’ai fait avec lui, à comment je suis avec lui et à ce que je ferai avec lui. Et j’ai un tas d’idées en tête pour le futur. Il me reste un tas de choses à lui montrer et à lui faire vivre. Par exemple, il faudrait que je prenne une bonne cuite avec lui. Qu’on achète un peu d’alcool fort et qu’on se fasse la bouteille à nous deux. Je l’imagine avec un verre de whisky ou de vodka purs à la main et faire cul-sec. J’imagine aussi la grimace sur son visage, ses sourcils froncés puis son rire s’échapper de ses lèvres et sa bouche qui dirait « encore ! ».
On essaiera.
Moi j’veux essayer. Je veux le voir faire et me marrer.
Pas pour me moquer mais parce que je sais que je serai en train de passer un bel instant. Quelque chose qui durera que quelques heures mais dont je me souviendrai toute ma vie.
Je suis étendu sur mon lit et je pense à lui. En fait je suis en train de me demander ce que je suis pour lui et ce qu’il est pour moi. Je crois que je suis son amoureux. Enfin je crois qu’il m’aime en grand avec tout ce qui va avec. Les trucs dans le ventre, les yeux qui brillent, etc. Mais qu’est-ce qu’il est pour moi ??? Je crois qu’il a les deux pieds en plein dans la frontière amitié/amour. J’ai pas des frissons et des contractures dans le bide quand je le vois mais j’aime bien l’embrasser. J’aime bien sa bouche. On dirait celle d’une fille.
J’ai mis un pull propre, un joli jean et mes Nike blanches. Je suis monté sur mon vélo direction la maison de Pablo. Je connais le chemin par cœur maintenant, je sais où tourner et tout. Même les yeux fermés j’suis sûr que je me perds pas.
Je sonne.
Ce doit être sa mère qui ouvre.
- Sa- Bonjour, j’suis venu voir Pablo. J’suis un ami à lui et il m’a dit qu’il devait m’aider avec la poésie.
J’offre mon plus beau sourire (tout cabossé).
(c’est pas vrai pour la poésie)

J’ai les mains dans les poches de mon jean lorsque la mère de Pablo disparaît pour aller le chercher.
Je crois que j’ai inventé le prétexte de la poésie parce qu’un jour il m’en a lue et c’est comment ça qu’on s’est rencontré. De toute façon je suis même pas crédible. J’ai même pas pris de sac à dos avec moi pour faire croire qu’il y avait des feuilles et des crayons à l’intérieur et pour montrer à sa maman que oui, on va vraiment bosser. On va utiliser nos cerveaux et on va apprendre à faire la différence entre les rimes entre les métaphores et les comparaisons, etc (…)
J’entends Pablo arriver.
Je le regarde de haut en bas. Il porte un jogging et un tee-shirt un peu céleste. Il nage dedans. On dirait moi à part le tee-shirt. Je croyais que le dimanche c’était un jour où on s’habillait beau et propre. On se mettait presque sur son 31 pour aller à l’église.
À lui je lui fais un sourire sincère.
(mais rien qu’à lui)
- Salut.
Il dit.
Je reste planté devant la porte d’entrée parce que j’ose même pas poser un pied à l’intérieur. Tout est si blanc, tout est marbre et dorures. Est-ce que je dois enlever mes baskets, est-ce que j’ai l’air d’un pauvre type, est-ce que je pue la cigarette que j’ai fumée avant de venir ?
- Salut. J’suis venu pour la poésie.
Mais notre poésie à nous.
Pas celle des grands auteurs.

- Ah oui, la poésie.
J’arrive pas à défaire le sourire de mon visage.
C’est à cause de Pablo, il a l’air un peu assommé, carrément surpris de ma visite surprise, en fait (j’espère que je l’embête pas non plus). Il y a un peu de panique dans ses yeux. Peut-être qu’il est en train de se dire merde, je suis habillé n’importe comment, en plus je suis pas coiffé, est-ce que ma chambre est rangée. Je pense qu’il doit être comme ça lors des ''''''''''rencards'''''''''' surprises (il y a plein de guillemets parce que c’est pas vraiment un rencard, c’est pas parce que j’ai mis un jean que j’ai pris soin de moi, je fais juste des efforts pour pas avoir l’air d’un plouc).
Il me dit que je peux rentrer.
Je mets mes deux pieds dans sa maison et ça me fait tout drôle. C’est très aéré et propre, ici. C’est pas chez moi, ça c’est clair. On dirait un autre monde et moi ça m'effraie un peu.
On est dans les escaliers et puis on entend de la musique, aussi. Ça doit venir de sa chambre à lui. On parle jamais de musique avec Pablo parce que moi j’en écoute pas. C’est pas que je trouve ça débile mais c’est qu’on m’a jamais vraiment appris à en écouter et tout et puis je ne sais pas l’apprécier. Mais je peux faire des efforts. Je peux apprendre.
Un peu comme avec la poésie.
- Ça va ?
Il demande.
On entre dans sa chambre. Elle est très grande et il y a même un lit deux places (ça doit il chouette, il peut dormir en ayant la forme d'une étoile de mer sans que son bras et sa jambe tombent dans le vide).
Je reste planté au milieu du parquet parce que j’ose pas bouger, j’ai peur de salir, de tout casser.
- Ouais. J’espère que ça dérange pas que je vienne un dimanche.
Je me racle un peu la gorge. Sal Paulson est pas trop trop à l’aise.
- Et toi, ça va ?
Je braque mes yeux sur lui, comme deux faisceaux lumineux. Finalement ça lui va bien les joggings et les tee-shirts XXL. Peut-être qu’il devrait venir au lycée comme ça. On serait bien assortis.

J’aime bien sa chambre, je trouve qu’elle lui ressemble.
Il y a des livres, un peu d’astronomie aussi, si on regarde bien. C’est rangé et chaque chose est à sa place. Ça doit être agréable de dormir dans une pièce où on sent l’air passer. Où les murs sont clairs, le plafond et le sol propres.
- Oui oui. Tu peux t'assoir si tu veux.
Je hoche la tête et je vais m’asseoir sur le bord de son lit. J’appuie un peu mes mains sur la couette. J’ai presque envie de me lover dans ses draps tous blancs, fermer les yeux et peut-être faire une sieste avec lui à côté de moi. Je ne sais plus quand était la dernière fois où j’ai dormi avec quelqu’un. Je crois que c’était il y a quelques siècles, quelque chose comme ça.
- J’aime bien ta chambre.
Je dis.
Lui il me tourne le dos parce qu’il cherche des trucs dans sa bibliothèque. Il revient avec un livre. Il a un sourire sur le visage, aussi.
- C'est ça que tu voulais ?
J’attrape le livre et je le feuillette. Je ne connais pas cet auteur et je comprends encore moins ce qu’il y a écrit dedans. C’est des mots qui sont ensemble mais qui ne se lient pas vraiment. La poésie dans les livres ça m’échappe. Je la comprends pas. Ça bloque, ça bloque, ça bloque. En plus j’arrive même pas à lire et à écrire correctement alors de la poésie …
À sa question mes yeux roulent un peu dans leurs orbites. Je dis
- Non.
Et je me laisse tomber dans son très grand lit. Les bras en croix, les yeux grands ouverts sur le plafond.
- Je crois que c’était juste un prétexte pour venir.
J’essaie de me persuader que je viens comme un ami. Parce que je suis son ami. Je suis rien que ça. Un ami. Trois lettres. Une épaule. Des sourires. Quelques larmes aussi. Mais je suis pas son amoureux je suis pas son amoureux je suis pas son amoureux.
C’est juste que parfois
j’aime bien l’embrasser sur la bouche
plutôt que ne pas l’embrasser du tout.

- Pousse-toi, tu prends toute la place.
Je grogne un peu mais je m’exécute. Je me décale vers la droite et Pablo vient s’allonger à côté de moi. Il se dépose comme une plume sur le matelas. J’ai la tête tournée vers lui et je le regarde. Il s’empare du recueil qui repose entre mes mains et fouille à l’intérieur.
- Tiens, écoute : « Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire. » Tu trouves pas ça beau ?
Je hausse une épaule.
- Je sais pas. Je comprends pas.
Ça veut pas, c’est tout. Je sais pas ce qu’ils font les poètes pour écrire toutes ces choses sur la vie, sur l’amour, sur les rêves, sur la nature et tout ça. Est-ce qu’ils s’y connaissent vraiment ? Moi je crois qu’ils étaient bourrés de drogues, ces gars-là. Ils devaient en bouffer tellement qu’après ça coulait tout seul de leur crayon. Et ça faisait des recueils entiers.
Et maintenant on nous emmerde avec ça à l’école.
Mais c’est pas faute d’avoir essayé.
- Mais on s’en fout de la poésie, là, non ?
Je demande. Et puis en même temps j’ai pas envie de lui dire que je suis venu pour lui. J’ai pas envie de lui dire que j’ai fait exprès de m’habiller correctement parce que je savais que c’était pour aller chez lui. J’ai pas envie de lui dire que pendant le trajet j’avais le cœur qui battait un peu plus fort que d’habitude. J’ai pas envie de lui dire que je suis heureux d’être allongé sur son lit, avec lui à côté de moi. J’ai pas envie de lui dire toutes ces choses là parce qu’il va croire que mon cœur bascule de moins en moins vers l’amitié mais plutôt vers une forme d’amour presque obsessionnel.
(je dis bien presque)
- J’aime pas les dimanches.
Je dis.
J’aime pas les dimanches parce qu’il fait jamais beau. Parce que le dimanche j’ai les yeux fatigués, le corps qui en a marre et qui me dit qu’il a la flemme. J’aime pas le dimanche parce qu’on dirait que c’est plus dur de mettre un pied devant l’autre.