J'ai jamais été le gars qu'on remarque au premier abord. Pas assez mystérieux, pas assez beau, trop intelligent et surtout trop réaliste pour mon propre bien. Le rabat-joie, le bûcheur, celui qu'on évite aux fêtes parce que, soyons honnêtes, même si je connais le dictionnaire français par coeur, ça n'intéresse personne tant qu'un joint n'est pas inclus dans la conversation. Je dis pas que j'suis quelqu'un de solitaire, j'aime les gens. Juste, pas quand ils sont imbéciles. Et ça arrive trop souvent. J'viens d'une famille aisée, très aisée, j'ai toujours eu droit aux privilèges et je suppose que ça me rend spécial, peut être détestable. J'suis surdoué aussi, d'une force qui me dépasse moi même. On me dit un truc, je retiens. je lis quelque chose, je retiens. Tout ce qui vient et même des trucs horribles, que je ressors à table parce que je suis parfois pas "socialement acceptable", il paraît. Si on ajoute à ça que je veux être juge... Je deviens le mec le plus chiant du monde. Pourtant, la nuit quand je deviens Holden, on se perd facilement dans mes bras et mes sourires. Double-facette. On pourrait appeler ça comme ça. Je préfère le terme "magicien". Différent selon l'angle du soleil, ça me plaît. Reste à savoir si je suis Raphaël ou Holden quand tu me rencontres, ça, c'est plus compliqué. Moi même, j'ai du mal à le savoir. Je me perds un peu dans mes propres méandres, je crois. Mais avoir la tête qui tourne en permanence, c'est pas toujours facile.

Ca a commencé quand j'avais quinze, seize ans, j'crois bien. J'avais encore pas conscience de son existence, de ses putain d'yeux verts et surtout des mensonges à en perdre le compte. Mais j'étais libre. J'conduisais sans en avoir le droit, j'avais la tête shootée aux amphèts, il me prenait la main pour que je puisse passer mon corps presque entier à travers le toit ouvrant et putain, j'étais libre. Seize piges. Un gamin. Le bon samaritain toujours à faire attention à qui boit, qui boit pas, qui fait toujours ses devoirs et qu'on garde presque en laisse aux cocktails de bourges. Si mes parents avaient été là, je leur aurait fait un bras d'honneur. Et pourtant, j'étais encore loin du compte des conneries qui allaient me tomber sur la tête. Quand il a goûté mon sourire et qu'il a glissé sa main sous mes vêtements, il m'a demandé mon prénom. "Pour le crier plus tard", qu'il a dit, le fourbe. J'ai répondu Holden. Holden Caulfield, ce putain de cliché dont tout le monde amoureux. Libre et idiot. Comme je voulais l'être.

Tout s'est emballé quand il a frappé à ma porte un matin. De grands yeux, sûrement ahuris par ma présence, de grandes mains, un petit air connu et pourtant inconnu. Je n'ai compris que lorsqu'il m'a expliqué. Lui et moi, même père. Ma mère était la maîtresse de Mon père, à l'époque marié à la sienne. Il a tout plaqué du jour au lendemain. J'avais pas plus de deux ans, alors j'ai toujours cru que mon nom était le vrai. Pourtant, même pas. Tout a été changé et moi j'étais l'enfant bonus, celui qu'on cajole parce qu'on l'a fait avant, mais qu'il est resté trop dans l'ombre. Celui plus doué, qu'on finit par choisir pour le désigner comme animal de foire. Lucky est plus jeune, pas de beaucoup. Et évidement, c'était comme si je lui avais volé sa vie. Comme si encore une fois, j'aurais du être un autre.

Les hôpitaux ont vu plus de pleurs sincères défiler que n'importe quel cimetière. Mais pas le mien. La chambre est vide, il n'est pas là. Mes parents sont passés, silence, mes yeux toujours clos et pourtant je voyais tout. Et si il va mourir, qui sera là pour être la fierté de la famille ? Si le bon petit Raphaël meurt, il n'y a pas de plan de secours. Pas de retour en arrière. Parfois, les images défilent à nouveau. Lucky, le baiser, l'incompréhension, mes pas trop rapides et la voiture. Boum. Mon corps sur la chaussée. Un autre cri, du sang. Le noir.
Il n'est pas venu me voir. Je ne l'ai pas vu. Je sais pas où il est et ça me fait peur. j'espère qu'il ne m'a pas laissé. J'espère que si je ne me réveille pas, il sera là quand même. J'ai toujours voulu quelqu'un pour danser sur ma tombe.
Les hôpitaux ont vu plus de pleurs sincères défiler que n'importe quel cimetière, et pourtant je suis seul et il n'est pas là.

lola / pandora. / 20 / rhododendron.