il est dur, il est froid mais il est là pour moi. à neuf ans avec la première goutte de sang. à douze ans et encore maintenant. sa bouche s’abat sur mes bras. ses lèvres caressent mes cicatrices. et les entailles plus fraiche vibre sous cet amour. sa bouche vermillon apaise la brulure de la lame. mes joues sont mouillées. parfois je rêve qu’il entaille ma peau avec ses dents. avec ses ongles. qu’il soit capable de me faire du mal. ce n’est arrivé qu’une fois. une gifle. sifflante, brulante, honteuse. il me menace. incapable de le rejeter, pas plus de l’aimer assez. assez pour m’en sortir. assez pour arrêter de souffrir. violence et souffrance. rudy et rozen. deux corps. une âme. briser. bousiller. bonne à jeter.

la première fois, c’est arrivé presque par hasard, mon papa avait juste laissé trainer son rasoir. je l’ai attrapé et j’ai entaillé ma peau laiteuse. ça m’a fait du bien comme une caresse. ça m’a fait mal comme un coup de poing dans la gueule. comme un baiser. comme une gifle. ça a commencé par une sur le bras gauche. une coupure si fine que je n’en ai pas gardé de cicatrice. la seule. les suivantes marquent ma peau comme un poème, comme un tableau. c’est mon art. ma détresse. mon malaise. c’est ma douleur.

et le rasoir, qu’on a laissé choir, glisse sur ma peau, en enlève des morceaux.

je suis un oiseau en détresse, qui rejette les caresses. sauf celle de Rudy, sans lequel je ne serais déjà plus en vie. pourtant, lui aussi je le rejette parfois. « DEGAGE RUDY, DEGAGE. » mais il ne part pas. il ne part jamais. assis derrière la porte de la salle de bain il attend que j’ai fini. et quand c’est fait, il menace de me tuer. puis il soigne, caresse, embrasse mes blessures, mes coupures. jurant, à qui veut bien l’entendre que c’est la dernière fois qu’il me laisse faire. et je me laisse bercer, soulager, tout en sachant très bien que je vais recommencer.

le plus difficile c’est de lui faire croire que je ne veux pas de lui. mon rudy « je veux pas de ton amour. » j’ose ces mots qui brûlent, qui écorche, à vif, plus fort que ma lame. si douloureux. alors que je ne veux que son amour. pourquoi voudrais-je celui d’un autre ? il est si pur. si beau. si violent que parfois il m’en fait mal.

je vibre sous son amour. comment aimer quand on ne s’aime pas soi-même. pourtant rudy, c’est différent. je l’aime. mal, c’est vrai. parce que je ne devrais pas. l’amour m’écorche, cherche ma faille. dans cet amour, je trouve une raison, une excuse pour me faire du mal. mais c’est plus loin, plus profond. rudy m’aime, plus encore que je ne pourrais jamais l’aimer. il m’aime à m’en faire mal, c’est le seul à en être capable. il m’aime à me briser. et il ne me le pardonnera surement jamais, si je m’en vais. mais il est le seul à avoir encore un peu d’espoir. maman est résignée depuis longtemps, à laissé son enfant, partir, presque avec le sourire. comme un soulagement, pour moi, pour elle, pour cette famille, fragile comme une coquille. Parfois, papa dit à rudy « peut-être que si tu te battais pas autant au lycée, t’aurais plus de force pour aider ta sœur. » chut papa j’aimerai lui dire. mais pourquoi faire ? il ne sait pas et ne doit pas savoir que le soir, dans le noir, rudy est ma lueur d’espoir. un instant, ses caressent sont comme l’ivresse, apaisante et m’aide à oublier, que demain je vais encore entailler, cette peau, par morceau. il m’aime assez pour me sauver… c’est moi qui l’aime trop mal pour l’accepter.

mon psy m'a dit : tu peux t'en sortir.
il est bien le seul à croire ça. avec rudy. rudy mon amour. rudy mon sauveur. rudy que je vais briser, quand je déciderais que tout est terminé.

nana / nana(beat) / dix huit ans / de quelle couleur sont les petits pois ?