SEBASTIAN.
COEUR VIDE à ce qu'il paraît,
depuis mes huit ans, j'ai pas évolué.
je parle pas physiquement mais psychiquement (je sais même pas si ça se dit).
enfin, j'en sais rien, je fais que répéter ce que les docteurs disent à maman.
depuis que papa s'est trouvé une autre famille à aimer, moi, je suis rien de plus qu'un orphelin. je sais même pas parler correctement. je mets toujours les mots dans le mauvais ordre. les autres se marrent et maman désespère.
papa, lui, il s'en fichait.
alors, en voyant qu'il reviendrait plus à la maison, j'ai voulu tout arrêter. j'étais au bord du lac, prêt à m'y jeter. j'ai jamais su nager mais j'avais pas peur de tomber au fond de l'eau même si secrètement, j'espérais que papa reviendrait.
qu'il sortirait des buissons pour me prendre dans ses bras et me sortir de là. j'avais douze ans, je devais avoir l'air bête, les larmes aux yeux et le corps penché au dessus de l'eau.
puis il y a eu un bruit. au milieu des feuilles et des hautes herbes. je me suis retourné. c'était un minuscule chaton, pas plus grand qu'une souris d'ordinateur.
miaou.
c'est ce qu'il m'a dit. je lui ai répondu 'laisse-moi, je vais sauter.'
miaou. miaou. miaou.
il grattait mon sac.
't'as pas entendu ou quoi ?'
ses grands yeux verts se sont levés vers moi et j'ai eu l'impression qu'il me disait quelque chose. ses miaous incessants prenaient soudainement un sens. c'était pas lui qui parlait mais son estomac.
alors, j'ai enfoncé mes mains dans mon sac pour en sortir mon sandwich du midi. je lui ai demandé :
'tu aimes le pâté de canard ?'
miaou. (ça voulait dire oui, en réalité, vu comment il l'a avalé.)
il a ronronné sous mes caresses et j'ai compris que je n'étais pas le seul à me sentir triste. lui aussi souffrait, abandonné dans un coin de campagne où personne ne va les jours d'hiver. on était deux flocons prêts à fondre d'un instant à l'autre.
je lui ai dit :
'je te ramène à la maison, ça va aller. tu seras plus jamais seul.'
et j'ai oublié mes intentions premières au milieu de ses yeux brillants.
ça fait six ans que je connais bouboule, maintenant. et même s'il est grand et bien gras, maintenant, je sais qu'il garde toujours sa souffrance au fond de lui.
il connaît tous mes secrets.
bouboule, c'est mon meilleur ami. et comme papa, il s'en fiche si j'agis comme un enfant de huit ans. ça le dérange pas, il arrête jamais de ronronner et de m'aimer.
bouboule, je lui ai promis qu'il ne serait jamais seul.
c'est pour ça que je suis encore là et pas au fond du lac.